B. S. Johnson est l’un de mes romanciers favoris. Je le dis, et le conseille à mes proches, cet auteur est grand et il mérite que l’on se penche sur son oeuvre. Les merveilleuses éditions Quidam ont éditées déjà quelques bons livres, récemment il y a eu Les malchanceux, mais on peut lire aussi Christie Malry règle ses comptes, R.A.S. infirmière chef une comédie gériatrique, ou encore Chalut. La biographie de B.S. Johnson signée Jonathan Coe est aussi disponible chez Quidam.
L’écriture de B.S. Johnson est novatrice à chacun de ses romans, tant sur la forme que dans le fond. B.S. Johnson n’est pas de ces écrivains qui répétait un style pour réussir financièrement... L’oeuvre est gigantesque et tellement moderne que je m’étonne de la non-reconnaissance en son temps de cet auteur pourtant adulé par Samuel Beckett. C’est donc aujourd’hui, près de quarante ans après sa mort que l’on s’attarde sur ses chef d’oeuvres. B.S. Johnson, je suis amoureux de son écriture.
C’est en 1964 que Albert Angelo est publié. Certains se sont attardés sur les deux trous habillant deux des pages du roman, trous qui offre à lire le « futur de la fiction ». C’est l’histoire d’un type, Albert Albert, architecte sans emploi qui devient professeur vacataire pour gagner un peu sa vie. Et là, il se retrouve dans des établissements difficiles, où il remplace des enseignants partis pour dépression, ou maladie. Bref, c’est un monde que les vacataires connaissent bien, un monde impitoyable où un gentil bonhomme sans réussite est jeté dans une meute de loups, qui ne veulent qu’une chose, voire échouer le nouveau vacataire. Se rajoute à cette morosité, les souvenirs d’une ex, Jenny. « Lorsque Jenny est partie, m’a trahie pour un infirme à qui elle s’imaginait être davantage nécessaire, ma mère a dit de ne pas m’en faire, qu’il allait peut-être mourrir et qu’elle me reviendrait. »
La force de ce roman et de multiplier les points de vue narratif, ainsi on passe d’un dialogue faisant office de prologue, avec des paroles simples et saisissantes, à un monologue de notre héros, en passant par des incrustations d’échanges entre élèves. Ce qui donne parfois certaines pages à deux colonnes, où les deux récits se font face.
Comme je le disais, Albert Albert est un type simple, célibataire, qui passe voir ses parents de temps, sa mère lui rappelant qu’il serait bien pour lui à vingt huit ans d’avoir un vrai boulot, qui passe des soirées entre amis, et qui se retrouve nez à nez avec des petites teignes.
Mais toute cette histoire, cette histoire d’architecte qui accepte un sale boulot pour casser sa croûte n’est-ce pas le quotidien du poète Johnson ? Et ces mioches qui n’ont pas beaucoup d’imaginations ne sont-ils pas les critiques qui ne reconnaissent pas on art ? Et cette femme qui revient, qui l’obsède sans cesse, n’est-ce pas une fêlure amoureuse qui refait surface ?
C’est en toute fin du livre que l’auteur nous livre quelques pistes, en intervenant ponctuellement dans on oeuvre, prenant à part le lecteur.
« -ras le cul de tous ces mensonges, vous voyez si j’essaie d’écrire quelque chose en fait ça n’a rien à voir avec l’architecture j’essaie de dire quelque chose sur l’écriture sur mon écriture je suis mon propre héros absurde comme dénomination mon propre personnage principal donc j’essaie de dire quelque chose sur moi à travers Albert un architecte alors que mais à quoi bon cette mascarade oui mascarade cette mascarade qui donne l’illusion l’illusion que je peux raconter à travers lui enfin tout ce que je pourrais trouver d’intéressant à raconter.
-J’essaie de dire quelque chose pas de raconter une histoire raconter des histoires c’est raconter des mensonges et je veux dire la vérité sur mon moi sur mon expérience sur ma vérité de ma relation à la réalité sur le fait d’être assis là à écrire et à regarder Claremont Square par la fenêtre à essayer de dire quelque chose sur l’écriture et sur le fait qu’il n’y a aucune réponse à la solitude et au manque d’amour »
Albert Angelo est donc comme un reflet de la vie de Johnson, de sa vie d’écrivain, et à travers ce livre, et c’est le cas dans tous ses romans, il parle avant tout de l’écriture, de son écriture. Car l’écriture, il la remet en jeu à chaque fois, comme pour se jouer d’elle, comme pour envoyer valser les codes classiques du roman. L’écriture est acide, franche, notre héros ne cache pas son attirance pour certaines élèves, le langage est familier et direct. L’écriture tout simplement belle car novatrice, et sans fioritures. Johnson ne tourne pas autour du pot. Il joue avec l’écriture ce qui lui a valu l’étiquette d’écrivain expérimental, mais n’est-ce pas le rôle d’un écrivain d’expérimenter, d’aller dans des retranchements inconnus, de se mettre en danger pour offrir une oeuvre nouvelle et singulière ?
La force de B.S. Johnson c’est qu’il arrive à offrir une oeuvre accessible à chaque fois, une oeuvre qui déconcerte tant on se dit que l’on a jamais lu ça ailleurs et qui fait tant de bien.