mardi 16 novembre 2010

Raconter une histoire







Raconter. Conter. Fabriquer un conte, voir même déjà une histoire. Se l'approprier, la vivre, et la laisser s'envoler. Raconter une histoire. Ça peut paraître bien niais, écrit comme ça, on croirait presque à un slogan publicitaire. Mais se raconter une histoire pour, juste l'espace d'un instant, se désolidariser du monde, et se mettre seul dans son coin, à placer les jetons, à tâter les caractères, à répartir les rôles. Se raconter des histoires et voilà que l'on passe pour un mytho. Un type, un bonhomme qui en invente pour exister. Est-ce que les artistes sont mythomanes? Car, les artistes, on s'en invente des histoires. Pour exister? Ça, c'est autre chose. L'existence est faite de petites et grandes histoires.

Parfois, on parle d'univers. Parfois, on parle trop, et mal. Un univers viendrait qualifier le pouvoir imaginaire de l'artiste. Mais ce mot même d'univers est d'une imprécision totale. L'univers n'a pas de fin, l'histoire en a bien une. Le serpent ne se mange pas la queue, la fin est bien là, comme but ultime, parfois comme délivrance.

Raconter une histoire pour se défaire du monde réel, et fabriquer un autre monde, avec sa géographie, ses contours, ses reliefs, ses héros, ses mythes. Raconter une histoire pour mieux vivre? Est-ce que l'on fait de l'art pour mieux vivre? Est-ce que l'on fait de l'art par thérapie? Je ne crois pas. Je crois que l'on ne fait pas de l'art pour se soigner de quoi que ce soit mais bien pour s'aider à vivre. L'art comme un accompagnement. Je crois que l'on fait de l'art, car c'est bien là la seule chose que l'on sait faire. Je crois que l'on fait de l'art par nécessitée. Comme raconter une histoire est une nécessitée.

Raconter une histoire avec des bricoles, des petites choses qui ne font rien, qui se bricolent, qui s'assemblent pour former une évidence. Raconter une histoire en bricolant sur le monde pour le révéler.

Don Delillo, Point Omega




D’un côté nous avons un film, où plutôt une oeuvre vidéo de Douglas Gordon, 24 hour psycho, qui consiste en l’étirement du film Psychose en une journée, de l’autre nous avons cet homme Richard Elster, isolé de tout en plein désert qui reçoit la visite d’un jeune cinéaste, Jim Finley. Le tout réuni dans un roman intitulé Point Oméga.

D’abord, il y a le récit anonyme d’un visiteur au Museum of Modern Artde New-York en 2006 devant l’oeuvre de Douglas Gordon, un visiteur qui s’y rend chaque jour, et qui palpe tous les instants du film étiré, comme isolé dans un autre espace temps. Ce même visiteur, on le retrouvera en épilogue du livre, s’attachant à voir la fin du film, rencontrant une mystérieuse femme. Entre les deux récits, il y a la rencontre entre le jeune cinéaste et ce vieil homme qu’est Richard Elster, dont le jeune homme veut en faire son unique personnage pour son film. « En fait, il serait, l’unique participant. Son visage, ses mots. C’était tout ce qu’il me fallait. » Richard Elster a 73 ans, il vit seul dans cette maison isolée dans le désert, depuis la séparation avec sa femme, loin de ses fils et de sa fille. On sent bien la difficulté du narrateur Finley à s’habituer au mode de vie de son ancien et taciturne personnage de son film. Puis, les deux hommes s’apprivoisent et se racontent leur vie, jusqu’à s’apprécier, jusqu’au jour où Elster reçoit la visite de sa fille, qui semble charmée notre narrateur.

Dans ce livre, tout es silence, avec des scènes qui dure jusqu’à l’épuisement des personnages. On peut y voir comme un difficulté de la communication entre deux hommes de générations différentes, aux vies différentes, aux intérêts différents. On apprend même que le cinéaste a montré la vidéo de Gordon, sans qu’il y ait le moindre enthousiasme chez son personnage de film. La visite de la fille viendra mettre un peu plus de vie dans cette confrontation au décor atemporel. Les conversations se posent sur des questions existentielles. Richard Elster n’est pas le dernier a émettre son opinion sur la folie de son époque. « Tout est englué, dit-il, les heures et les minutes, les mots et les nombres partout, dit-il, les gares, les trajets de bus, les compteurs des taxis, les caméras de surveillance. La question c’est le temps, un temps imbécile, un temps inférieur, des gens qui regardent leurs montres et leurs appareils divers, leurs pense-bêtes. Un temps qui coule hors de nos vies. Les villes ont été bâties pour mesurer le temps, pour soustraire le temps à la nature. » Le temps, lui le narrateur, ça fait un moment qu’il ne le compte plus, lui s’attachait à noter le nombre de jour qu’il passait en la présence de ce vieil homme, mais qui, isolé, n’y trouve plus le sens.

Il est évident que je ne dévoilerait pas ici l’évènement qui va bousculer nos deux hommes, jusqu’à les rendre amorphes, vides.

Point oméga est un roman sur la difficulté d’être au monde, de vivre en marginal, en refusant le temps, en refusant le mode de vie rapide d’une société éclaire. C’est aussi une rencontre spirituelle entre deux hommes que rien ne réunit si ce n’est ce goût pour l’inconnu. Le point oméga, terme emprunté à Pierre Teilhard de Chardin, est un pôle de convergence de l’évolution. C’est bien vieil homme qui apprend à son interlocuteur que « la conscience s’accumule. Elle commence à réfléchir sur elle-même. Il y a là pour moi quelque chose de quasiment mathématique. Il doit exister une loi mathématique ou physique que nous n’avons pas encore vraiment découverte, suivant laquelle l’esprit transcende toute direction intérieure. » Dans une discussion antérieure, le même personnage questionnait le cinéaste. « Le père Teilhard connaissant une chose, le point oméga. Un bond hors de notre biologie. Posez-vous cette question. Devons-nous rester éternellement humains ? La conscience est à bout de forces. A partir de maintenant, retour à la matière inorganique. C’est ça que nous voulons. Etre des pierres dans un champ. »

La question est posée, au lecteur d’y réfléchir…

vendredi 22 octobre 2010

Albert Angelo



B. S. Johnson est l’un de mes romanciers favoris. Je le dis, et le conseille à mes proches, cet auteur est grand et il mérite que l’on se penche sur son oeuvre. Les merveilleuses éditions Quidam ont éditées déjà quelques bons livres, récemment il y a eu Les malchanceux, mais on peut lire aussi Christie Malry règle ses comptes, R.A.S. infirmière chef une comédie gériatrique, ou encore Chalut. La biographie de B.S. Johnson signée Jonathan Coe est aussi disponible chez Quidam.

L’écriture de B.S. Johnson est novatrice à chacun de ses romans, tant sur la forme que dans le fond. B.S. Johnson n’est pas de ces écrivains qui répétait un style pour réussir financièrement... L’oeuvre est gigantesque et tellement moderne que je m’étonne de la non-reconnaissance en son temps de cet auteur pourtant adulé par Samuel Beckett. C’est donc aujourd’hui, près de quarante ans après sa mort que l’on s’attarde sur ses chef d’oeuvres. B.S. Johnson, je suis amoureux de son écriture.

C’est en 1964 que Albert Angelo est publié. Certains se sont attardés sur les deux trous habillant deux des pages du roman, trous qui offre à lire le « futur de la fiction ». C’est l’histoire d’un type, Albert Albert, architecte sans emploi qui devient professeur vacataire pour gagner un peu sa vie. Et là, il se retrouve dans des établissements difficiles, où il remplace des enseignants partis pour dépression, ou maladie. Bref, c’est un monde que les vacataires connaissent bien, un monde impitoyable où un gentil bonhomme sans réussite est jeté dans une meute de loups, qui ne veulent qu’une chose, voire échouer le nouveau vacataire. Se rajoute à cette morosité, les souvenirs d’une ex, Jenny. « Lorsque Jenny est partie, m’a trahie pour un infirme à qui elle s’imaginait être davantage nécessaire, ma mère a dit de ne pas m’en faire, qu’il allait peut-être mourrir et qu’elle me reviendrait. »

La force de ce roman et de multiplier les points de vue narratif, ainsi on passe d’un dialogue faisant office de prologue, avec des paroles simples et saisissantes, à un monologue de notre héros, en passant par des incrustations d’échanges entre élèves. Ce qui donne parfois certaines pages à deux colonnes, où les deux récits se font face.

Comme je le disais, Albert Albert est un type simple, célibataire, qui passe voir ses parents de temps, sa mère lui rappelant qu’il serait bien pour lui à vingt huit ans d’avoir un vrai boulot, qui passe des soirées entre amis, et qui se retrouve nez à nez avec des petites teignes.

Mais toute cette histoire, cette histoire d’architecte qui accepte un sale boulot pour casser sa croûte n’est-ce pas le quotidien du poète Johnson ? Et ces mioches qui n’ont pas beaucoup d’imaginations ne sont-ils pas les critiques qui ne reconnaissent pas on art ? Et cette femme qui revient, qui l’obsède sans cesse, n’est-ce pas une fêlure amoureuse qui refait surface ?

C’est en toute fin du livre que l’auteur nous livre quelques pistes, en intervenant ponctuellement dans on oeuvre, prenant à part le lecteur.

« -ras le cul de tous ces mensonges, vous voyez si j’essaie d’écrire quelque chose en fait ça n’a rien à voir avec l’architecture j’essaie de dire quelque chose sur l’écriture sur mon écriture je suis mon propre héros absurde comme dénomination mon propre personnage principal donc j’essaie de dire quelque chose sur moi à travers Albert un architecte alors que mais à quoi bon cette mascarade oui mascarade cette mascarade qui donne l’illusion l’illusion que je peux raconter à travers lui enfin tout ce que je pourrais trouver d’intéressant à raconter.

-J’essaie de dire quelque chose pas de raconter une histoire raconter des histoires c’est raconter des mensonges et je veux dire la vérité sur mon moi sur mon expérience sur ma vérité de ma relation à la réalité sur le fait d’être assis là à écrire et à regarder Claremont Square par la fenêtre à essayer de dire quelque chose sur l’écriture et sur le fait qu’il n’y a aucune réponse à la solitude et au manque d’amour »

Albert Angelo est donc comme un reflet de la vie de Johnson, de sa vie d’écrivain, et à travers ce livre, et c’est le cas dans tous ses romans, il parle avant tout de l’écriture, de son écriture. Car l’écriture, il la remet en jeu à chaque fois, comme pour se jouer d’elle, comme pour envoyer valser les codes classiques du roman. L’écriture est acide, franche, notre héros ne cache pas son attirance pour certaines élèves, le langage est familier et direct. L’écriture tout simplement belle car novatrice, et sans fioritures. Johnson ne tourne pas autour du pot. Il joue avec l’écriture ce qui lui a valu l’étiquette d’écrivain expérimental, mais n’est-ce pas le rôle d’un écrivain d’expérimenter, d’aller dans des retranchements inconnus, de se mettre en danger pour offrir une oeuvre nouvelle et singulière ?

La force de B.S. Johnson c’est qu’il arrive à offrir une oeuvre accessible à chaque fois, une oeuvre qui déconcerte tant on se dit que l’on a jamais lu ça ailleurs et qui fait tant de bien.